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°° WEBTUBE : Il faut parfois être patient pour sauver la France. C’est ce que doit murmurer, en son for intérieur, François Bayrou, entre deux rendez-vous avec le chef de l’État. À 73 ans, l’heure est-elle enfin venue ? Le Béarnais a toujours cru en son étoile, qui le mènerait droit à l’Élysée. À quelques semaines de Noël, c’est justement la saison des étoiles guideuses. Celles qui mènent à la crèche et s’affichent en haut des sapins illumineront-elles le destin de François Bayrou ? Le cercle se resserre. Les médias citaient une petite dizaine de noms, voilà une semaine ; cinq ou six, avant le week-end ; ils n’en citent plus que deux, ce soir : ceux de Catherine Vautrin et celui de François Bayrou. Ça sent la dinde de Noël, pour cet éternel candidat aux plus hautes fonctions, qui touche au but et se voit déjà assurer, comme Louis XIV : « Il me sembla seulement alors que j’étais roi et né pour l’être. »
ays épuisé et guerres de religion
Auteur d’une épaisse biographie d’Henri IV, Henri IV, le roi libre, publiée chez Flammarion en 1994, Bayrou s’est depuis longtemps identifié à ce Béarnais comme lui. « La tragédie marque définitivement son destin, lorsque son mariage avec Marguerite de France, la reine Margot, donne le signal de la Saint-Barthélemy, écrit l’éditeur (ou Bayrou lui-même ?), au dos de l’ouvrage. Conquérant de son royaume, il retrouve le pouvoir dans un pays épuisé. » Bayrou a écrit son Henri IV en 1994 : trente ans plus tard, on y est. Le pays est épuisé. Le pouvoir vacille, les palais de la République cherchent la réincarnation d’Henri IV, celui qui saura esquiver les guerres de religion, restaurer les finances de l’État et imposer avec bonté, dans les foyers sinistrés par l’évolution du pouvoir d’achat, la célèbre poule au pot. « Ce livre n’est pas seulement l’histoire d’une vie, poursuivait notre éternel candidat au pouvoir. Il est aussi une tentative pour comprendre l’entreprise de réconciliation nationale, et le plus spectaculaire redressement financier, économique, politique et moral que notre pays ait connu. » Diable ! Et si c’était lui ?
Certes, Bayrou coche quelques cases du moment : il a su flatter la Macronie sans jamais abandonner son camp d’origine, la droite parlementaire, non sans ménager la gauche et tout en conservant de bonnes relations avec le RN. Il a émargé dans tous les partis de la droite et du centre depuis les années 90. « Avoir la peau qui, à l’endroit des genoux, devient sale ? Exécuter des tours de souplesse dorsale ? », interroge, fièrement, le Cyrano de Rostand, qui tranche : « Non merci ! » Le Béarnais est nettement plus souple. Cela vous désigne un homme providentiel quand le pouvoir doit composer avec une chambre en miettes, véritable punition d’un jeu d’alliances assez sordides.
Hélas, il va tout de même manquer à notre Henri IV de circonstance quelques détails infimes pour réconcilier une France inquiète, plongée dans une guerre de religion larvée. Et on ne parle là ni de l’haleine du bon roi ni de sa légendaire vitalité. Non, il faudrait d’abord à François Bayrou démontrer qu’il a le souci de la France, celui du peuple français. Car Henri IV, c’est d’abord cela. C’est ainsi que ce grand roi se fit aimer et apaisa le pays, avant de tomber sous le couteau de Ravaillac. Or, François Bayrou a longuement démontré qu’il avait le souci de lui-même et de sa carrière politique, de son destin, de sa personne. Il n’a jamais prouvé qu’il était prêt à sacrifier tout cela par souci de la France et des Français – bien au contraire. Ce prince de la combinazione à l’italienne aurait-il été se jeter entre les bras d’Emmanuel Macron dont il est un fidèle soutien, bien qu’encombrant, depuis l’élection de l’hôte de l’Élysée en 2017 ?
Médiocre ministre
Quelles sont les convictions de François Bayrou ? En a-t-il seulement lui-même une idée ? Curieux spécimen, tout de même. Ce père de famille nombreuse, qui fait le pèlerinage de Lourdes chaque année, n’a guère laissé le souvenir de ses combats sur le mariage pour tous, l’IVG ou le mariage homosexuel… En dehors de l’Europe, version régionale de la mondialisation destructrice des nations, on cherche en vain le fil rouge d’une carrière au centre mou. Désormais grand-père, Bayrou a tout vu, tout fait. Il a été conseiller général des Pyrénées-Atlantiques, député, président du conseil général, ministre de l’Éducation nationale de 1993 à 1997. Il a succédé au très centriste et très mou Pierre Méhaignerie à la tête du CDS, il a présidé l’UDF, fait un tour à Strasbourg comme député européen, occupé le ministère de la Justice sous Emmanuel Macron et Édouard Philippe (un mois et quatre jours !), occupé la mairie de Pau et le Haut-Commissariat au plan. Un CV de touche-à-tout de la République, avec deux postes de ministre seulement. Bayrou a suscité davantage de méfiance que de fidélité. « Il a été un très médiocre ministre de l’Éducation nationale, tranche un proche d’Éric Ciotti, joint par BV, qui a de la mémoire. Il sait se vendre mais ne travaille pas, contrairement à Bruno Le Maire ou à Éric Woerth. » Même bilan au Haut-Commissariat au plan. « C’est un outil qui peut être extraordinaire si on connaît finement l’État, un outil d’anticipation, poursuit notre élu : il n’a pas su le raccrocher à l’administration. Rien sur la décentralisation. Bayrou réserve son talent à ses lecteurs… » Les Français passent après.
Mais ce fin renard a toujours tenté de sentir le vent. Depuis quelque temps, ce mondialiste passionné déborde d’amabilités avec le RN, devenu puissant à l’Assemblée. Ses propos sur le procès indigne des assistants parlementaires du RN – un procès qu’il a subi lui aussi – et son parrainage donné à Marine Le Pen lors de l’élection présidentielle de 2022 montraient tout de même un embryon de courage – ou de calcul. Il s’est ainsi attiré sur le tard la neutralité prudente du RN. « Paris vaut bien une messe », disait Henri IV. Pour Bayrou, Matignon en vaut bien davantage.
- Marc Baudriller, Boulevard voltaire